5 - Agriculture, économie, alimentation, pouvoir d’achat

Est-il encore raisonnable de continuer à réduire les prix agricoles à la production pour améliorer le pouvoir d’achat des français ?
Note n° 5 – 06 novembre 2024

Est-il encore raisonnable de continuer à réduire les prix agricoles à la production pour améliorer le pouvoir d’achat des français ?

Un excellent article de la Tribune de février 2024 montre que c’est dans l’agriculture que les gains de productivité sont les plus importants mais que ceux-ci échappent aux agriculteurs. 

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/les-producteurs-principaux-perdants-de-la-repartition-des-gains-de-productivite-de-l-agriculture-989921.html

ndlr : prix réels = prix en monnaie constante (corrigés de l’inflation).

Ce graphique, paru dans La Tribune, met en évidence le décrochage des prix agricoles depuis 1977. S’il y a eu une légère remontée avec le COVID et le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, les prix agricoles à la production ont, depuis 2023, repris de plus belle leur descente infernale. 

Les agriculteurs européens payent très cher les importations de produits agricoles ukrainiens suite aux décisions prises par l’UE pour soutenir l’effort de guerre. L’attitude de la Commission européenne envers ses paysans est-elle respectueuse et responsable ? Pourquoi l’agriculture qui va mal, serait-elle la seule profession à devoir mettre la main à la poche pour soutenir l’Ukraine ? 

Il est courant d’entendre que jusqu’en 1955 un paysan échangeait 1 kg de blé contre 1 kg de pain avec le meunier local. Aujourd’hui, dans une baguette à 1,30 €, seulement 4 cts reviennent au céréalier, soit 3 %. Si le blé était gratuit, le prix du pain ne baisserait pas… C’est à peu près la même chose dans toutes les productions agricoles. 

Quand le cours mondial du blé « flambe » en progressant de 30 % d’un coup, les boulangers communiquent qu’ils doivent augmenter le prix de la baguette de 10 centimes pour compenser la hausse des prix de la matière première. C’est de bonne guerre. Ils devraient en réalité n’augmenter que de 1 centime le prix de la baguette. Il suffit d’un reportage télévisé parlant de gelée printanière ou de grêle dans les vergers, faisant craindre la raréfaction des fruits et les prix au détail augmentent aussitôt.

Les éleveurs de vaches allaitantes (races bovines à viande) sont les agriculteurs qui ont les revenus les plus faibles alors que la bonne viande de bœuf est trop chère pour de nombreux ménages. C’est le même problème pour les fruits et légumes. Les meilleurs aliments pour la santé sont trop chers. Les classes populaires deviennent obèses en ne mangeant plus que du poulet d’importation, des pâtes, du sucre et de l’huile de palme.

Les agriculteurs français sont entre le marteau et l’enclume : Ils perdent leur compétitivité du fait des contraintes et charges imposées par l’état (voir note 4) et sont soumis à la concurrence (déloyale à l’occasion) des pays tiers voire des autres pays européens sans pouvoir répercuter leurs coûts de production sur le marché local. La situation est intenable !

Les 3 lois EGAlim successives se sont employées à essayer de redonner une meilleure part des prix à la consommation aux agriculteurs. Pour quel résultat ? 

Ces lois EGAlim se basent sur un calcul très précis pour déterminer un « prix acceptable ? » pour les producteurs de façon à ce qu’ils gagnent tout juste leur vie (disons quelque chose comme 1,5 SMIC maximum pour, en moyenne, 56 heures de travail hebdomadaire, nuits week-ends compris et peu voire pas de vacances, ceci pour les plus performants parmi les producteurs laitiers qui ont dû investir près d’un million d’euros (voire davantage) !  

Rappelons que le revenu horaire moyen net des exploitants agricoles était de 8 euros de l’heure en 2020 et qu’il est constitué à 80 % des primes PAC. Nos agriculteurs ne vivent donc pas du fruit de leur travail.

Il faudrait peut-être une meilleure transparence sur les valeurs ajoutées intermédiaires et les marges de tous les autres mailons des filières agricoles dans la transformation et la distribution. 

Les agriculteurs ont probablement tort de déballer trop facilement leurs comptes. Certes cela est utile pour démontrer que l’on est en déficit et que les prix de vente sont trop faibles. Mais quand les Chambres d’agricultures publient chaque année les marges de chaque production agricole et que les résultats ont été bons dans certains types d’exploitations agricoles, cela donne des idées aux loups de la filière qui partent à la chasse de la valeur ajoutée créée par les agriculteurs. 

Il est impossible de connaitre la marge d’un concessionnaire de matériel agricole sur la vente d’un tracteur. C’est confidentiel et c’est normal.

Dans le discours de politique générale du premier ministre à l’assemblée : « La thématique de la distribution de valeur dans la filière a aussi été mentionnée ». Michel Barnier entend « renforcer la transparence sur les marges pratiquées dans la grande distribution » (LFA du 01.10.2024). 

En se focalisant ainsi sur des prix agricoles faibles pour le bien des consommateurs évidemment, personne ne pense à regarder les différentes marges tout au long de la filière !

Tous les coûts intermédiaires, tout au long des filières ne font que renchérir le prix final : la fiscalité, les normes, la traçabilité, le contrôle qualité, la RSE (Responsabilité sociale des entreprises), les charges salariales, le coût de l’énergie. Ils ont chacun leur part de responsabilité.

Les ménages consacrent à l'alimentation une part de plus en plus réduite de leurs dépenses de consommation : 16 % en 2024 contre 35 % en 1960. Par ailleurs, en 2022, sur 100 € d’achat de produits alimentaires, il revient seulement 6,30 € aux producteurs contre 11,50 € il y a vingt ans. (La France Agricole du 30 mars 2023). Notons que quand il revient 6,30 € aux producteurs l’état perçoit 10,70 € de taxes (Rapport CGAAER 21040). Moins de taxes permettrait donc aux ménages de se nourrir à meilleur compte ou aux producteurs d’atteindre des revenus acceptables sans nuire à l’inflation. 

Dans de nombreux pays qui contrôlent leurs frontières tels que la Chine, l’Algérie et l’Iran, le prix du blé à la production est 2 fois plus élevé qu’au sein de l’UE. Les salaires y sont 3 fois moins élevés. La dépense alimentaire est proportionnellement plus élevée qu’en Europe mais le prix du pain y est moins cher car l’économie y est plus simple.

On ne peut donc pas dire que les prix agricoles au sein de l’UE constituent un problème par rapport au niveau de vie des ménages.

L’agriculture ne doit pas être déclassée vers l’économie sociale et solidaire, c’est un secteur à part entière de l’économie qui se doit de créer des richesses. En France nous parlons de « secteur primaire ». Les australiens disent « primary industries ». 

Rappelons que l’agriculture occupe 29 millions d’hectares, soit 54 % du territoire Français. Elle se répartit en terres arables pour 62 %, en prairies et parcours pour 34 % et en cultures pérennes pour 4 %. La forêt, qui fait elle aussi partie de l’espace rural, représente 38 % du territoire. Les surfaces urbanisées et artificialisées occupent 8 % et elles augmentent aux dépends de l’agriculture car l’équivalent de la surface agricole d’un département français est artificialisée tous les 10 ans !

Certes, l’agriculture qui pesait 18 % du PIB français en 1950 est tombée à moins de 2 % aujourd’hui.

Sur le plan économique, l’agriculture doit rester le moteur de la ruralité afin de redynamiser nos villages et de continuer à embellir nos campagnes.

L’agriculture est une activité noble et essentielle. Pour cette raison elle ne doit plus être financée par des primes ou encore du crédit-carbone qui ne durera qu’un temps.

Contraindre la hausse des prix agricoles à la production par des importations de produits au cours mondial se révèle plus efficace pour faire disparaitre les agriculteurs que pour contenir l’inflation !