2 - L’agriculture française et européenne dans une impasse

La politique agricole actuelle basée sur des aides directes versées aux agriculteurs, n’a jamais réussi sur ces 30 dernières années à sécuriser les revenus et à maintenir le nombre d’agriculteurs. Ce système est à bout de souffle : persévérer est suicidaire !
Note n° 2 – 16 septembre 2024

La politique agricole actuelle basée sur des aides directes versées aux agriculteurs, n’a jamais réussi sur ces 30 dernières années à sécuriser les revenus et à maintenir le nombre d’agriculteurs. Ce système est à bout de souffle : persévérer est suicidaire !

Depuis la mise en place du Marché commun et jusqu’en 1992, les prix agricoles européens étaient négociés lors du « Marathon agricole » et fixés chaque année par le Conseil des ministres à Bruxelles.

Les prix des principales productions agricoles (céréales, produits laitiers, viandes bovine et ovine), variaient, au sein de la CEE, entre 2 limites :  

  • Un prix de seuil, assez élevé, à partir duquel les importations pouvaient pénétrer le marché commun. 
  • Un prix d’intervention qui correspondait au prix minimal du marché en dessous duquel, la CEE avait l’obligation d’acheter les produits agricoles, de les stocker et éventuellement de les dégager hors du Marché commun afin de l’assainir pour faire remonter les cours.

Ce système de garantie avait une faiblesse : des productions comme les volailles, le porc mais surtout les oléoprotéagineux n’étaient pas concernées par ce système d’encadrement des prix. Cette absence de protection sur les huiles végétales et les protéines végétales à destination de l’alimentation animale a détourné l’intérêt des agriculteurs pour les cultures d’oléoprotéagineux. Ils se sont spécialisés en céréales par défaut rendant excédentaire le marché européen à partir de 1980. Cependant, la balance commerciale agroalimentaire de l’UE restait déficitaire : 21 Mrd ECU en 1991.

Comme les subventions coûtaient très cher pour exporter les excédents de lait et de céréales et face aux exigences de l’OMC, l’UE a radicalement changé de PAC en 1993. La protection des prix a disparu. Les cours ont donc chuté sur le marché intérieur. Pour compenser la perte des agriculteurs, l’UE a versé des aides directes calculées, au départ, en fonction des surfaces et des rendements locaux.

Il y a eu ensuite des réformes de moindre ampleur en 1999, 2003 et 2013 qui, dans le même esprit d’aides directes, ont favorisé le développement rural, déconnecté les primes de la production puis les ont assujetties au respect de contraintes environnementales avec une renationalisation possible d’une partie de l’enveloppe.

Les aides ont été diluées vers les pays de l’Est, vers des productions dont l’évolution de la PAC n’a pas fait baisser les prix (maraichage, viticulture), détournées vers du développement rural et une partie a été captée par les compagnies d’assurances. Depuis 2003, le budget agricole de l’UE n’est plus indexé sur l’inflation. Ces aides directes aux agriculteurs, calculées à partir de références techniques des années 1980, compensent donc de moins en moins la différence de compétitivité entre nos paysans et historiquement les « farmers » américains puis maintenant les nouveaux géants de l’agriculture encore plus compétitifs : le Brésil, la Russie, l’Ukraine…

Pour illustrer cette perte d’efficacité des aides, prenons l’exemple d’un producteur de maïs de Nouvelle Aquitaine. En 1987, il vend sa récolte 1 570 Francs par tonne, soit 240 €/t. Si l’on actualise cette somme avec un calculateur d’inflation, on obtient 480 €, soit le double. Ce même agriculteur vient de vendre en 2024 son maïs (récolté en 2023) à 160 €/t. En monnaie constante, le prix du maïs payé à l’agriculteur a été divisé par 3. Il lui manque donc 320 €/t. Avec un rendement de 10 tonnes par hectare, cela fait 3 200 € de perte de produit brut par ha. Les aides directes qu’il perçoit du budget de la PAC sont de 200 €/ha. Elles représentent donc aujourd’hui seulement 6 % de la perte qu’il subit annuellement. La reprise de l’inflation a contribué à dégrader ce ratio. 

La situation est la même pour toutes les grandes productions agricoles végétales, le lait, les viandes bovine et ovine.

Les signaux économiques impulsés par ces prix très bas - résultant des importations permises par les accords de libre-échange - ne sont pas sans effet sur nos agriculteurs. Ils cherchent au maximum les économies en se spécialisant et en massifiant leur production. Alors, des critiques apparaissent contre « l’agriculture intensive » et pour y répondre la Commission européenne impose des contraintes environnementales en contrepartie du versement des primes.

Les conclusions du Dialogue stratégique sur l’agriculture remises à Ursula von der Leyen ce 4 septembre recommandent de mieux cibler les aides en les réorientant vers les petits producteurs, les jeunes agriculteurs et la restauration de la nature. Le lendemain, les réactions dans la presse sont positives et unanimes. Les organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca) se félicitent de ce texte, souhaitant l’utiliser pour construire « une vision plus équilibrée et stratégique de l'agriculture et de l'alimentation ». Les organisations environnementales et de consommateurs, dans un « consensus historique » y voient un net changement d’orientation en faveur d’une alimentation saine et durable.

Comment l’assistanat par des aides directes, devenues insignifiantes par rapport aux pertes économiques subies par les agriculteurs, peut-il remettre l’agriculture sur de bons rails ? C’est impossible et pourtant dans une hypnose générale, tout le monde fait encore semblant d’y croire !

Les réponses gouvernementales aux manifestations agricoles de l’hiver 2024 n’ont été que des allègements de normes, de charges, de taxes et de contraintes réglementaires. Leur portée financière est limitée. Elles ont tendance à marginaliser les agriculteurs et contribuent à fragiliser la ruralité. L’agriculture est un secteur économique qui doit retrouver sa prospérité et non passer du côté de l’économie sociale et solidaire.

Les aides directes et la clochardisation des agriculteurs ne redresseront jamais le secteur. 
Le sujet des prix agricoles est tabou. Il faudra bien ouvrir ce dossier car ce n’est qu’avec des prix agricoles justes que les agriculteurs pourront retrouver un digne revenu issu du fruit de leur travail. Des solutions existent car, dans de nombreux pays, les paysans ne sont pas payés au cours mondial.