Note N° 1 – 02 septembre 2024
La politique agricole est commune (PAC) depuis 60 ans. Depuis 30 ans l’agriculture est entrée dans le champ de l’OMC. La politique agricole européenne est donc devenue vassale des accords commerciaux. Ce préambule est important pour comprendre la crise actuelle.
La France est un pays de paysans, c’est le plus grand pays agricole de l’UE27. En 1946, 1 emploi sur 3 était dans l’agriculture. Il y avait 6 millions de paysans en 1955, il en reste moins de 400 000 en 2024. Les agriculteurs représentaient 8 % de la population en 1980, ils sont seulement 1,5 % en 2024. Plus de la moitié des agriculteurs ont plus de 55 ans. D’ici quelques années, 100 000 départs à la retraite ne seront pas renouvelés. Les abandons en cours de carrière sont nombreux. Il n’y a déjà plus assez d’agriculteurs pour assurer une production agricole régulière les années difficiles et pour entretenir les 45 % de la surface du pays qui leur incombe.
La chute du PIB de l’agriculture pénalise la ruralité qui se paupérise car le ruissellement des revenus et des investissements liés à l’activité agricole n’est plus là. L’économie nationale se concentre dans les grands centres urbains ; il y a un décrochage des campagnes.
Les prix des principales productions agricoles (céréales, lait, volailles, porc) ont été divisés par 2 à 3 en monnaie constante ces 35 dernières années. Dans ces conditions, malgré les efforts entrepris par les agriculteurs, leurs revenus s’effondrent. Les aides asservissantes de la PAC représentent presque la totalité du revenu agricole (79 %). 40 % du budget de l’UE ne suffit pas à enrayer la déprise agricole.
L’agriculture française perd en compétitivité même face à ses partenaires européens. La France est la championne des normes et des contraintes. De nombreuses règles législatives, fiscales ou environnementales pénalisent nos agriculteurs. Dans les administrations nationales et départementales comme les DDT ou l’OFB ou encore dans les organisations en charge de l’eau, les agriculteurs sont confrontés à du personnel hostile et militant qui bloque les projets.
Notre agriculture devient déconnectée de notre alimentation : nous produisons de plus en plus pour l’exportation et nous importons toujours plus ce que nous consommons. 33 % de nos légumes, 56 % de la viande ovine et plus de 40 % de la volaille que nous mangeons proviennent de l’étranger (source FranceAgriMer). En fait, nous nous étions spécialisés dans les dernières productions où nous étions encore un peu compétitifs. Aujourd’hui plus rien ne va, même en céréales et dans certains vignobles.
Nous entendons souvent dire que le pays est passé de « deuxième à cinquième exportateur mondial de produits agroalimentaires en vingt ans ». Les exportations agricoles sont à analyser avec prudence. Seules les exportations de produits viticoles et des fromages d’appellations étaient rentables mais des marchés se ferment. Les exportations, vers les pays tiers, de blé, d’orge ou de lait se font au détriment du revenu des agriculteurs car les cours intercontinentaux résultent souvent du dumping.
Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, la production agricole européenne est triplement déficitaire : en volume d’échanges, par un manque de surface de terres pour atteindre l’autosuffisance alimentaire et le solde de balance commerciale est négatif la majorité des années.
Tableau ci-contre issu de l’Etude Opéra, université Humboldt de Berlin 2008.
Dès le Dillon Round au GATT, en 1962, l’agriculture européenne avait perdu sa souveraineté. Ne pouvant promouvoir le développement des cultures d’oléoprotéagineux, elle s’est mise à cultiver du blé par défaut, devenant excédentaire à partir de 1980. Concurrençant les Etats-Unis, elle s’est vue contrainte de réduire ses subventions aux exportations agricoles, lors des accords de Blair House, en 1992, dans le cadre des négociations de l’Uruguay Round.
Depuis 1992, chaque réforme de la PAC se limite à une simple modification de la règle de répartition des aides provenant du budget européen. Il n’y a plus aucun projet par manque de souveraineté. Face à son échec, la Commission européenne détourne l’attention en s’intéressant au climat et non à l’économie agricole.
C’est plus la dérégulation des marchés que le dérèglement climatique qui pénalise nos agriculteurs. D’ailleurs, les années froides comme 2024 sont plus préjudiciables à la production agricole que les années chaudes.
Deux lobbies diamétralement opposés tentent d’imposer leurs vues jusqu’au-boutistes sur les places nationales et européennes.
D’un côté il y a les géants mondiaux de l’agrobusiness relayés en France par les industries agroalimentaires privées ou coopératives dont le lobbying influence les positions de nombreuses structures et organisations agricoles. Malgré la situation alarmante de notre agriculture, elles ne se sont jamais remis en cause et leurs propositions se limitent à des soins palliatifs.
De l’autre coté il y a les partisans de la décroissance qui vont jusqu’à bruler des fourgons de gendarmerie et qui manifestent contre l'irrigation avec… des drapeaux palestiniens ! Leurs critiques sur l’impact de l’ultra libéralisme et la mondialisation des échanges sur l’agriculture reçoivent une écoute favorable à Paris et à Bruxelles.
Il faudra bien un jour sortir par le haut de ces deux visions extrêmes car, pour nos agriculteurs, cela se traduit par la double peine. Ils sont écartelés entre des prix agricoles mondialisés et des contraintes administratives et environnementales très coûteuses.
L’agriculture subit rapidement et dans un silence inquiétant, un grand plan social. Nos derniers paysans sont les racines de notre pays. Déployons en urgence des protections !